Si les raisons d'aller à Shanghai ne manquent pas, les excuses pour rester chez soi non plus. Le lait contaminé, la qualité de l'air ou le risque de se voir exposé à la projection d'un film de Ang Lee ne sont que quelques uns des moult dangers qui guettent le voyageur perdu en cette lointaine contrée. Fort heureusement, Points se propose de vous y emmener sans quitter votre fauteuil. Grâce à une sélection d'auteurs chinois exceptionnels qui ont placé leurs intrigues à Shanghai...
Dans les ruelles de Shanghai avec Qiu Xialong
|
||
Extrait: | ||
« Quand le bus arriva rue de Xizhuang, l’inspecteur Yu fut le premier dehors. Il prit un raccourci à travers le jardin du Peuple. L’une de ses portes donnait sur la rue de Nankin, l’artère principale de Shanghai, presque un centre commercial à elle seule, s’étendant du Bund au secteur du temple de Yan’an. Tout le monde était d’excellente humeur. Ceux qui faisaient leurs courses. Les touristes. Les marchands ambulants. Les coursiers. Au milieu d’un groupe de chanteurs qui se produisait devant l’hôtel Helen, une jeune fille jouait d’une cithare ancienne. Un panneau d’affichage en gros caractères exhortait les habitants de Shanghai à veiller à une bonne hygiène et à la protection de l’environnement en s’abstenant de jeter des détritus et de cracher. Au coin des rues, des retraités réglaient la circulation et réprimandaient les contrevenants en agitant des drapeaux rouges. Le soleil brillait sur les crachoirs grillagés aménagés dans les trottoirs. » |
Une ville moderne et... polluée
|
||
Extrait: | ||
« Quand je suis passé à Shanghai, dans le hall de la gare où des queues immenses s’alignaient devant les guichets, j’ai acheté à un particulier un billet pour Pékin par train rapide. Une heure plus tard, j’étais assis dans le compartiment, content de moi. Cette ville immense où s’entassent plus de dix millions d’habitants n’a plus aucun intérêt à mes yeux. Je voulais voir où avait vécu un oncle éloigné, mort bien avant mon père. Aucun des deux n’avait atteint l’âge glorieux de la retraite. |
Shanghai, foyer de la guerre civile
|
||
Extrait: | ||
« La cadette du groupe, Perle Bleue, a seulement quinze ans. Elle est issue d’une famille ouvrière. Elle a vécu à Shanghai. Son monde de petite fille de neuf ans a basculé brusquement le jour où ses parents et ses trois grands frères ont été arrêtés puis fusillés lors du grand massacre des communistes par les troupes nationalistes de Tchang Kaishek en 1927. Depuis lors, sans famille, sans logis, elle errait sur le pavé, sale, déguenillée, dévorée de faim et de poux, mendiant de porte en porte, se battant avec d’autres clochards pour le fond d’une boîte de conserve vide ou un os de porc pourri découvert dans des poubelles. Un ami de son père l’a repérée un matin alors qu’elle sommeillait enroulée dans de vieux journaux sous l’avant-toit d’un restaurant. Il l’a emmenée chez lui, l’a lavée, nourrie et logée. Plus tard, à l’aide de quelques relations secrètes, il a arrangé son arrivée dans la région soviétique du Jiangxi. Elle a été admise dans l’armée rouge comme une petite sœur accueillie dans une grande famille, car, orpheline, elle ne savait ni ne pouvait aller nulle part ailleurs. » |
Shanghai entre modernité et tradition
|
||
Extrait: | ||
« Il s’agissait d’un personnage de bonne réputation sur la place de Shanghai ; il était le directeur d’une banque étrangère. Dans sa jeunesse il avait fait des études à Londres et était allé aussi aux Etats-Unis. On racontait qu’il avait obtenu un master à l’université Harvard. Bien qu’il mangeât de la cuisine occidentale, il ne parvenait pas à changer ses manières de notable de Suzhou. Il travaillait à Shanghai, mais sa famille habitait encore Suzhou et lui-même rentrait périodiquement s’y reposer. Là, il ne voyait personne, ni amis ni parents, n’avait pas de vie mondaine, ne se déplaçait pas en voiture à cheval, mais, vêtu d’une longue tunique chinoise, coiffé d’un chapeau, une canne à la main, il flânait dans Suzhou, écoutait les conteurs de rues, allait dans les maisons de thé, mangeait des côtelettes aux cinq parfums, sans oublier les anguilles cuites à l’étouffée dans de la sauce soja du restaurant Songhe. Les garçons le connaissaient tous, car les pourboires qu’il laissait étaient plus élevés que la note elle-même. Toutefois, quand il retournait à Shanghai, une automobile l’attendait, il portait un costume, des chaussures en cuir, fréquentait les restaurants étrangers, les boîtes de nuit, tandis que des secrétaires modernes lui apportaient, non pas du thé mais du café. » |
Une capitale économique ouverte sur le monde
|
||
Extrait: | ||
« En ce début des années quatre-vingt-dix, les réformes économiques de Deng Xiaoping avaient considérablement transformé le visage de Shanghai. De l’autre côté de la rue de Zhongshan, de superbes immeubles, qui avaient abrité au début du siècle les plus prestigieuses sociétés commerciales occidentales puis, après 1950, les institutions du parti communiste, accueillaient de nouveau ces mêmes compagnies occidentales. Le Bund tentait de retrouver son statut de Wall Street de la Chine. » |
Shanghai, ville de la nuit
|
||
Extrait: | ||
« Maintenant la patronne était partie, les gens intéressants ne traînent jamais longtemps à Shanghai, ou alors plus ils s’incrustent, plus ils deviennent moches et cons. Elle était installée à Pékin et prétendait qu’une simple pensée pour Shanghai suffisait à lui coller la nausée. Ça, c’était son problème, à mon avis, pas celui de Shanghai. Shanghai est une jolie fille frigide, ma Shanghai sera toujours plaintive, une ville sans hommes. Nous allons de fête en fête, toutes les deux, dans les taxis on parle des mecs, dès qu’ils sont durs ils sont cons, or les durs ont le cœur tendre et les tendres ont le cœur dur. En boîte, sauf quand on chie, on n’a pas une seconde de vrai. Ou, autrement dit, les trucs les plus faux sont les plus vrais. À vous de voir. » |